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25 avril 2015 6 25 /04 /avril /2015 19:03

I - Avant d’aller plus loin dans une présentation des influences de la voie alchimique sur le symbolisme que nous vivons dans les loges pratiquant le rite écossais ancien et accepté, il paraît utile de bien définir ce qu’est l’alchimie. Le mot alchimie, al-kimiya, la Terre noire (l’égyptienne), a été donné par des savants arabes, lors de la découverte qu’ils firent, à l’époque de la grande expansion de l’islam dans les territoires du Moyen Orient et en Perse, à la science secrète que pratiquaient les adeptes de confréries initiatiques installées dans ces territoires. Les érudits, principalement perses qui les introduisirent dans leurs sociétés, savaient seulement que cette science secrète était venue d’Egypte et les savants arabes la baptisèrent ainsi, al-kimiya, l’égyptienne, mot que nous avons traduit par alchimie.

L’alchimie, telle que la découvrirent les savants arabes et telle qu’ils la pratiquèrent et la développèrent, est l’union d’une technique et d’un art qui rétroagissent l’un sur l’autre. La technique concerne les métaux et les végétaux. Les deux procédés qui la caractérisent sont la purification et la distillation.

La purification concerne les minerais et les métaux afin de les rendre purs, aussi purs que peut être l’or, le rare métal existant naturellement à l’état de pureté parfaite et de ce fait faisant référence comme idéal de pureté. Si certains alchimistes se sont investis dans une quête alliant technique et réflexion métaphysique pour opérer la transmutation des métaux vils en or, le plus grand nombre n’ont toujours eu comme objectif que de poursuivre la technique ancienne des artisans travaillant les métaux. Ceux-ci sont les maîtres du feu que toutes les anciennes civilisations n’ont pas manqué de sacraliser, leur attribuant une représentation symbolique et créant autour de leur image le mythe du premier forgeron. Ce premier forgeron mythique est dans la légende biblique Tubalcaïn, le maître du feu qui travaille et transforme les métaux et crée des formes, Tubalcaïn qui est le nom que le compagnon doit connaître pour accéder au grade de maître maçon. La tradition védique le nomme Brahmanaspati, celui qui sonde l’être et le non-être et il est dans le taoïsme le Grand Yu, héros sacré, quasi divin, qui reçut des neuf pasteurs leur métal et grava sur les chaudrons qu’il forgea les neuf emblèmes qui qualifient les neufs ciels de l’Univers, auxquels correspondent allégoriquement les neuf marches que doit franchir le maître maçon pour parvenir à la sagesse. Ce premier forgeron est dans la mythologie grecque, Héphaïstos, dieu du feu et des forges, père d’Eros, dieu de l’Amour. C’est aussi Gobban Saer, le Janus des Celtes, qui figure l’union entre technique et art, Gobban le forgeron, et Saer, le constructeur, habile dans tous les Arts, que l’on peut identifier avec la figure d’ Hiram que les francs-maçons du 18ème siècle ont établi comme étant celle de l’architecte le plus célèbre et de l’ouvrier le plus habile dans tous les ouvrages de l’Art de construire. Le feu de tous ces forgerons légendaires est un feu créateur, il éclaire et ne brûle pas. Il n’est pas dissociable de la Lumière sans laquelle rien ne serait, car elle établit les formes du monde apparent.

La distillation concerne les végétaux et d’autres objets et substances inanimés. Les savants et les médecins arabes et perses l’ont beaucoup développée, créant des remèdes, des élixirs, des alcools et des acides, fondant une pharmacopée chimique distincte de la pharmacopée galénique qui demeura d’usage courant jusqu’à l’orée du 19ème siècle.

L’autre face de l’alchimie telle que les arabes l’ont découverte puis développée est la philosophie gnostique héritée de Pythagore, Platon et de l’Ecole néo-platonicienne d’Alexandrie dont certains manuscrits, notamment la Table d’Emeraude, étaient soigneusement conservés dans ces communautés d’Orient qui continuaient, par ailleurs, à pratiquer certains rites initiatiques des anciennes sociétés grecques et égyptiennes. Ce sont ces textes qui, traduits et enrichis par les érudits arabes, tel Djâbir que nous nommons Geber, dont nous ignorons s’il fut une seule personne ou un collectif, ont établi le corps de la pensée alchimique, laquelle n’et en fait qu’une forme de la pensée gnostique que l’on nomme couramment l’hermétisme dont Pythagore peut être considéré comme le fondateur. Depuis le 8ème siècle, tous les alchimistes considèrent Hermès, que les grecs ont apparentés au divin Thot des Egyptiens et que les latins nomment Mercure, comme le référent symbolique et fabuleux de leur Art, l’Art royal par excellence, et la philosophie initiatique gnostique ou hermétisme comme la source unique de leur inspiration et de leurs travaux d’élévation spirituelle.

Le gnosticisme, au fil du temps, s’est manifesté sous divers régimes de pensée et l’hermétisme aussi bien que l’alchimie qui a pris naissance sur celui-ci, n’en constituent que des expressions dont les corps de doctrine ont eux-mêmes évolués au cours des siècles. Il reste cependant que les idées qui émergèrent, sous l’égide de Pythagore, du mariage des mythes égyptiens et grecs, donnant sens à une quête initiatique fondée sur les principes d’une tradition universelle, unissant toutes les cultures passées, présentes et futures, sont demeurées la base de la transmission spirituelle de toutes les écoles ou cercles gnostiques. Ces principes qui fécondent les voies hermétiques et alchimiques proclament que le Monde est un Ordre, qu’il existe une unité de l’Univers, que cette unité découle d’une unité primordiale, l’Un qui est amour et harmonie. Ils établissent aussi que le microcosme est constitué comme le macrocosme, ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, et que le travail de l’initié (l’adepte) est de séparer le pur de l’impur, d’aller vers la perfection et ce travail est le même s’agissant les 3 règnes de l’ordre extérieur ou matériel, minéral, végétal et animal que du règne de l’ordre intérieur, celui de l’esprit qui anime l’homme. Comme Platon l’exprime dans son Timée et son Parménide : « L’Univers est vivant, il est unique, il est indissoluble. Il est constitué de 4 éléments : terre, eau, air et feu. » Il paraît difficile de ne pas voir que ces principes gnostiques éclairent la voie initiatique qui est proposé au maître maçon pour se perfectionner et devenir un chevalier de l’esprit, un sage.

L’introduction de la pensée gnostique en Europe occidentale s’est effectuée en plusieurs étapes et par plusieurs voies. Dès le 8ème siècle les bénédictins ont traduit des textes de Platon et d’Aristote, puis des traités émanant de l’école de Geber, tels Les Livres des Balances et La Somme de Perfection qui présentent la singularité d’aborder dans un discours unique l’alchimie sous ses deux aspects , la technique de transformation des métaux et des minerais ainsi que celle des distillations, et celui de l’enseignement d’une philosophie initiatique. Certains d’entre eux s’impliquèrent ensuite dans cette double démarche exotérique et ésotérique et de nombreux auteurs de textes alchimiques écrits jusqu’au 18ème siècle appartenaient à l’Ordre de Saint-Benoît. Parmi le grand nombre de moines alchimistes, Ramon Lulle, auteur du Traité de la Quintessence des secrets de la nature et Basile Valentin qui écrivit Le Char triomphal de l’antimoine, sont les plus connus. Une autre voie d’introduction de l’alchimie en Occident chrétien fut celle de la conquête par les arabes du Maghreb et d’une partie de la péninsule ibérique. Les savants et les médecins qui accompagnèrent cette conquête développèrent l’art d’Hermès dans des écoles et des sociétés qui eurent une influence jusqu’en France et en Allemagne par le biais du grand pèlerinage de Compostelle, la cité de l’étoile rayonnante qui brille à l’orient de nos temples. Il n’est que de se rendre à la bibliothèque de Fès, grande cité symbolique, pour comprendre l’importance de la connaissance que diffusèrent les alchimistes venus d’orient. Une troisième voie de la venue de l’Art Royal en France est liée au grand mouvement des Croisades. Dès la première Croisade, les moines bénédictins qui accompagnaient les Croisés et qui encadraient les gens de métiers, organisèrent la fraternité de Saint Blaise, une société dans laquelle ceux-ci furent initiés aux Arts libéraux, notamment à la géométrie. Enfin, la réouverture des échanges commerciaux et culturels entre l’Empire latin d’Orient et les royaumes d’Occident permirent de découvrir de nombreux textes hermétiques conservées dans les cercles savants de Byzance, notamment les Livres d’Hermès, œuvre des écoles néo-platoniciennes d’Alexandrie écrite au 1er siècle avant notre ère. Ces livres alimentèrent au 15ème siècle les travaux de l’Académie néo-platonicienne de Florence, dont les membres les plus éminents Marsile Ficin et Jean Pic de la Mirandole vont être la source de l’inspiration de toux ceux qui voulurent s’affranchir de l’enseignement scholastique et vont marquer leur époque, tels Rabelais, Paracelse et Newton.

II – Il est très généralement proclamé dans les obédiences maçonniques que nous sommes les héritiers des sociétés de francs-maçons du Moyen Âge, les constructeurs des cathédrales, dont nous avons conservé et enrichi les connaissances symboliques. Cette affirmation est née en Angleterre, lors de l’apparition publique à Londres de loges maçonniques sans liens avec les métiers de constructeurs et la publication d’une histoire de la franc-maçonnerie, placée en tête des Constitutions et Règles pour la nouvelle maçonnerie. Pour donner plus d’éclat à cette maçonnerie dite spéculative, certains lui attribuèrent aussi une filiation templière et aujourd’hui encore, des francs-maçons considèrent qu’ils ont reçu une part d’héritage de la chevalerie du Moyen Âge.

Certes, le passage du symbolisme qui anime les rites maçonniques s’est effectué par l’intermédiaire des loges de constructeurs. Mais, il paraît nécessaire de bien analyser comment ce symbolisme a pu naître et se développer dans ces loges. Il convient, en premier, de poser son attention sur le terme « franc-maçon » que nous avons adopté pour désigner les membres des loges opératives puis ceux de nos loges modernes que nous qualifions de spéculatives. Dans le Royaume de France et dans les cités du continent européen, les membres des loges qui se constituaient autour des grandes entreprises de construction étaient des compagnons de métiers dirigés par un Maître d’œuvre, le Maître de la Loge, c’étaient des maçons libres, ainsi qu’il est rapporté dans le Livre des Métiers que le Prévôt de Paris, Etienne Boileau rédigea à la demande de Saint-Louis. Qu’est-ce qu’un maçon libre, un free-mason sur les chantiers anglais ? La seule réponse qu’il semble possible de donner à cette question est que c’est parce qu’ils ont reçu l’enseignement des Arts libéraux que ces compagnons sont devenus libres. En effet, dans les sociétés traditionnelles, il est fait une distinction entre les arts mécaniques, les techniques ou les métiers, dont ceux de la construction, qui sont assurés par des hommes serviles et les arts libéraux, ainsi qualifiés car leur enseignement est réservé aux jeunes gens de bonne naissance, aux hommes libres. Dès la Première Croisade, les maîtres d’œuvre qui accompagnaient les chevaliers croisés et étaient à leur service, et dont certains étaient des moines bénédictins ayant déjà une connaissance des œuvres de Platon et de l’hermétisme ainsi qu’une pratique des opérations alchimiques, fréquentèrent les membres des sociétés au sein desquelles un enseignement du corps philosophique de l’alchimie était donné à des gens des métiers. On peut penser que ce fut là l’origine des Fraternités de Saint-Blaise qui s’installèrent ensuite en Occident et firent office d’école de symbolisme dans les loges des constructeurs.

Il existe peu de documents donnant des informations sur les anciennes loges. Les seuls manuscrits qui ont été retrouvés et que nous connaissons, notamment le Régius et le Cook qui datent de la fin du 14ème siècle ou du début du 15ème narrent une histoire légendaire de la maçonnerie que l’on peut qualifier à la fois de fantastique et de fantaisiste. Toutefois, cette histoire, haute en couleurs, qui a été reprise dans la présentation des Règlements, Usages de la très respectable confrérie des maçons acceptés qui constitue l’Introduction du Livre des Constitutions d’Anderson parue officiellement en 1723, ne manque pas de présenter un intérêt. Dans les fables racontées, nous pouvons trouver, si on a le bon œil, des indications légitimant la thèse de l’influence gnostique dans l’enseignement des arts et des sciences effectué dans les loges des constructeurs. Largement inspirée de livres écrits par des bénédictins, notamment Bède le Vénérable et Ranulf Higden, auteur du Polychronicon, ouvrage cité dans le Régius et dans le Cook, cette histoire établit une chronologie de la maçonnerie réunissant les mythes égyptiens, hébraïques et grecs, dont le moins que l’on puisse dire est qu’elle est empreinte d’une volonté d’établir l’unité d’une tradition spirituelle. C’est ainsi que les auteurs du Cook désignent Euclide comme ayant été l’élève d’Abraham : « Après cela, Abraham, avec Sarah, sa femme, s’en vint en Egypte et il y enseigna les sept sciences aux Egyptiens. Et, il eut là, en Egypte, un élève excellent, qui se révéla la gloire de ce temps-là, du nom d’Euclide ». Nous retiendrons de cette phrase la référence aux sept sciences, les sept arts libéraux, dont nous savons qu’elles étaient enseignées dans les communautés ou écoles pythagoriciennes plus d’un siècle avant la naissance d’Euclide. Les anciens manuscrits attribuent à Euclide un rôle qui ne correspond pas à son image historique et le place hors du temps. Le Régius débute par ces mots « Ici commencent les statuts de l’art de la géométrie selon Euclide » et désigne ensuite Euclide comme ayant introduit cet art en Egypte, ce qui n’est pas crédible, les Egyptiens connaissaient des éléments de géométrie au temps des premières grandes pyramides et avant Euclide, le grec Thalès posa quelques principes de géométrie. Toutefois, ce qui nous paraît essentiel dans cette phrase, c’est le lien affirmé par les auteurs du Régius entre l’un des arts libéraux et la maçonnerie. Outre la référence qu’ils font au sept arts et à l’enseignement de la géométrie aux enfants des seigneurs d’Egypte afin que ceux-ci puissent « œuvrer à toutes sortes d’excellents ouvrages de pierre, temples, église, cloîtres, cités, châteaux, pyramides, tours et toutes sortes de bâtiments de pierre », les auteurs du Cook nous révèlent qu’Euclide nomma compagnons les ouvriers ainsi formés, leur interdisant toute autre appellation, puis les invita à « se comporter comme des hommes de l’art et non des rustres incultes » et enfin qu’il les organisa en un ordre. Si nous quittons le temps fictif des Old Charges pour revenir dans le temps réel, cet ordre attribué à Euclide n’est autre que les Fraternités de Saint-Blaise constituées vers l’an mil. Tels sont les fondements que les anciens manuscrits qui en rapportent les règles, donnent à la maçonnerie des constructeurs, celle des maçons libres. Si nous voulons élever notre pensée au-dessus des légendes et mythes, nous pouvons trouver dans ces trop rares textes qui nous sont connus l’indication des sources gnostiques ou alchimiques du symbolisme maçonnique.

Parmi les propagateurs du symbolisme d’essence gnostique qui s’est développée chez les Maîtres d’œuvre et leurs compagnons puis ensuite dans les loges des maçons acceptés, nous ne devons pas omettre de citer les Frères de la Rose-Croix, non pas seulement ceux de la Fama Fraternatatis Rosae-Crucis, qui se sont manifestés au sein de la société civile au 17ème siècle, mais les véritables Rose-Croix, philosophes inconnus, maîtres alchimistes invisibles, détenteurs des secrets des arts et sciences traditionnels qu’ils enseignaient dans les loges des compagnons constructeurs et qu’ils n’avaient aucune raison de ne pas conserver quand les gens de métiers disparurent des loges et que celles-ci devinrent, selon l’expression d’Anderson, le centre de l’union où se retrouvaient des représentants des élites politiques, sociales et culturelles de la société. Ces Frères de la Rose-Croix, maîtres de l’alchimie, constituaient, selon Paul Naudon, une communauté informelle qu’il nomme la communauté des Mages, sans apporter aucune précision, dans son ouvrage « Les origines religieuses et corporatives de la franc-maçonnerie » Fulcannelli, qui a moins de retenue, évoque dans ses « Demeures philosophales » la figure de Louis d’Estissac qui était, nous dit-il, l’un des adeptes les mieux instruits des arcanes hermétiques et qui portait, ajoute-t-il, le titre élevé de Rose-Croix, marque d’initiation supérieure. Rabelais fut quelque temps à son service et acquit auprès de lui un enseignement qui lui permit par la suite de devenir lui-même un Frère de la Rose-Croix. Le rapport entre les Rose-Croix et les Maçons est clairement exprimé dans un poème composé en 1638 par Henry Adamson de Perth :

Et mon bon génie le sait bien ce dont nous faisons présage n’est pas vain Car nous sommes les Frères de la Rose- Croix. Nous avons le mot de Maçon et la double vue.

Nous devons ajouter que ce poème narre l’effondrement d’un pont sur la Tay, dont le déroulement est pour le moins surprenant : 9 ans après l’éboulement de 3 arches qui sont reconstruites, 5 sont alors détruites. Il faut bien avoir la double vue pour comprendre les textes alchimiques et bien sur les symboles des grades maçonniques. Cette double vue à laquelle Adamson fait allusion évoque la nécessité qu’eurent toujours les Frères de la Rose-Croix, les Alchimistes les Maîtres d’œuvre et les Compagnons des métiers d’art et de construction de donner un double sens à leurs œuvres, un sens apparent, exotérique, et un sens caché, ésotérique, qui exprime les arcanes de la quête initiatique et que seuls peuvent saisir ceux pourvus de la double vue, à savoir les initiés.

III – Le rite écossais ancien et accepté, ainsi que les autres rites maçonniques, ont aussi, à notre sens, fait l’objet d’une double écriture ouvrant la voie à une double lecture. Sous l’inspiration des légendes tirées des livres des lois hébraïque et chrétienne, l’ancienne et la nouvelle loi, ainsi que cela est écrit dans des rituels et instructions de degrés maçonniques, une voie d’élévation morale est offerte aux maîtres maçons afin qu’il puissent devenir des chevaliers de l’esprit, des hommes sages dont les actions sont entièrement guidées par les trois vertus théologales, la foi, l’espérance et la charité ainsi que par les quatre vertus cardinales, le courage, la justice, la prudence et la tolérance. Mais le rite développe aussi un symbolisme inspiré par la graduation de la quête alchimique conduisant l’adepte de l’état d’homme ordinaire à celui d’homme transcendant. Ces deux voies ne s’excluent nullement. Elles agissent conjointement dans le processus d’initiation, car elles sont l’une et l’autre des chemins d’élévation spirituelle, l’une morale et l’autre initiatique, et il appartient à chaque maître maçon de trouver en chacune une part de sa propre nourriture spirituelle, en toute liberté de conscience.

Dans le premier cycle du Grand Œuvre alchimique, l’élévation spirituelle, comme le travail de laboratoire, comporte trois grandes étapes, l’Œuvre au noir, l’Œuvre au blanc et l’Œuvre au rouge. Les degrés du rite écossais ancien et accepté se développent en concordance avec cette graduation à partir du 3ème degré, le grade de maître.

Avant de devenir un initié, l’homme ordinaire, le profane, doit sortir des ténèbres et recevoir la lumière de la franc-maçonnerie. Il reçoit cette lumière au premier degré du rite, dans une cérémonie qui met en scène les quatre éléments, terre, air, eau et feu, qui sont les principes actifs sans lesquels, selon les gnostiques, l’univers n’existerait ni comme unité ni comme diversité. Au commencement, l’Univers était chaos ; au commencement aussi la terre était chaos. Le chaos, c’est la materia prima, la matière des ténèbres, au sein de laquelle les quatre éléments ou principes sont mélangés, unis et forment une lumière, la Lumière primaire, celle qui symbolise l’Esprit souverain et créateur. Le chaos se nomme aussi la pierre, la première pierre qui est une pierre brute, selon le médecin alchimiste Pierre-Jean Fabre (17ème siècles). Le profane qui frappe à la porte du temple maçonnique et qui va être admis apprenti est aussi une pierre brute. Le profane est lui-même chaos, et la première épreuve qu’il doit subir lors de son admission est celle de la terre. La terre, selon les maîtres alchimistes, est la mère de tous les éléments. C’est la materia prima à l’intérieur de laquelle est la lumière de laquelle va naître l’Univers. La materia prima des alchimistes correspond aux ténèbres dont émerge la lumière dans le corpus symbolique du rite écossais.

Dans le cabinet de réflexion, qui n’est autre que la terre-chaos, le futur apprenti maçon est mis en présence d’outils symboliques qui doivent éclairer sa conscience et son intelligence, qu’il ne saura comprendre dans l’instant mais qu’il retrouvera sur son futur chemin initiatique et qui seront alors les agents de son élévation spirituelle. Ces outils qu’il ne sait ni lire ni épeler appartiennent au symbolisme alchimique : le sablier et la faux qui annoncent l’œuvre au noir, le coq qui annonce l’œuvre au blanc et l’énigme V.I.T.R.I.O.L. qui annonce l’œuvre au rouge. Puis au cours de la cérémonie d’admission , enfin en partie libéré de son chaos, le postulant est soumis à l’épreuve de l’air qui figure un autre aspect de son chaos, un chaos organisé, puis aux épreuves de l’eau et du feu qui libèrent l’étincelle ou lumière primaire brillant en lui et le font, ainsi que nos rituels le proclament, accéder à la lumière.

Que celui « qui a des oreilles pour entendre qu’il entende » nous enseigne Thomas, le disciple gnostique du Christ. L’admission au grade d’apprenti ne nous confère aucune initiation, elle nous construit dans le but de nous faire devenir un initié.

Et notre initiation véritable va commencer au 3ème degré et comporter plusieurs étapes. La première étape est celle qui se développe dans les Ateliers de Perfection jusqu’au 11ème degré. Cette étape correspond au temps de l’œuvre au noir des alchimistes qui a pour but de faire murir le métal, de le perfectionner c'est-à-dire de le purifier, d’en exalter la pureté qui est en lui. Le franc-maçon est une pierre brute qu’il doit tailler c’est-à-dire perfectionner, purifier. Reprenons la légende d’Hiram : le maître est mort au 3ème degré, il est pleuré au 4ème degré, il est enseveli au 5ème, vengé aux 9ème et 10ème degrés. La mort de soi est au cœur de la légende, la renaissance ou plus exactement la naissance à l’Esprit n’est pas réalisée. Elle est en devenir. Les alchimistes placent la mort, symbolisée par la couleur noire, au seuil du Grand Œuvre, mais affirment aussi que la vie naît de la mort comme la lumière nait des ténèbres. Cette thématique alchimique est celle de notre rite jusqu’au 11ème degré. Dans le symbolisme de ce degré la dualité de l’homme, terre et ciel, est exaltée. Le nombre 12 exprime cette dualité dans l’unité. 12 est le nombre du grade, la loge est constituée de 12 élus, et la batterie du grade est de 12 coups égaux.

Le deuxième temps de perfectionnement qui commence au 12ème degré correspond à l’œuvre au blanc qui est celui de la deuxième purification ou sublimation. Il s’agit de sublimer la matière ou l’esprit, c’est-à-dire de les rendre encore plus purs, plus précieux, plus subtils, de les blanchir. Au 12ème degré le Président de l’Atelier est sublime grand maître. Il est désigné ce faisant comme maître alchimiste, celui qui conduit l’œuvre de sublimation. Les membres de l’Atelier, qui représentent le métal ou la pierre soumis à l’œuvre de sublimation, ont l’âge de la plénitude, celui de l’homme véritable, Emerek, l’homme vrai, selon le rituel du degré précédent. Le tablier du Grand Maître Architecte est blanc bordé de bleu, ce qui figure que le temps de l’œuvre au noir est terminé, (le bleu est la couleur du ciel). Les degrés suivants développent le travail de sublimation, lequel est tout aussi difficile que celui de l’œuvre au noir. Au 14ème degré, le Maître maçon est invité à chercher l’ultime perfection et il reçoit le titre de grand élu parfait et sublime maçon, parfait certes mais en devenir mais toujours sublime, homme véritable. Au 17ème degré, le temps de l’œuvre au rouge est annoncé. A ce degré, la devise « Ordo ab chao » qui apparaît dans le temple suggère que le chaos est devenu ordre et que désormais la lumière va recouvrir les ténèbres, que l’Esprit va dominer la matière. A l’orient, l’arc en ciel qui se déploie entre le soleil et la lune, symbolise l’épanouissement de l’œuvre au blanc, car la couleur blanche contient toutes les couleurs et l’arc-en-ciel manifeste ainsi l’achèvement du travail de sublimation. L’arc-en-ciel marque aussi dans ce degré le passage des ténèbres déjà éclairés de l’œuvre au blanc, représentés par la lune, à la pleine lumière symbolisé par le soleil et annonce le début de l’œuvre au rouge.

L’œuvre au rouge commence au 18ème degré et se poursuit dans les degrés suivants. Selon les maîtres alchimistes, les vrais Rose-Croix, les opérations qu’elle comporte sont la fixation, l’exaltation, la projection et la réunion. L’homme véritable accède dans ce temps initiatique à la perfection et à la sagesse, il devient l’homme transcendant, chevalier de l’esprit, lequel est représenté par le Pélican. L’œuvre au rouge met en action l’union de la reine (l’argent, la lune) avec le roi (l’or, le soleil), l’union du mercure et du soufre, afin de réaliser les Noces chimiques, la Rose sur la Croix et procréer le Rebis, symbole de l’unité primordiale, qui est harmonie et amour. L’objet final de la chimie nous dit le Chevalier inconnu est l’amour.

Tout le symbolisme du 18ème degré du rite écossais est imprégné de la pensée alchimique, le président de l’Atelier est très sage, les membres sont des chevaliers de l’esprit, le Pélican figure à l’orient du Temple, la pierre cubique s’est changée en Rose Mystique et le temple est un lieu au sein duquel règnent la Paix, la sagesse et l’Amour.

« J’ai vu et j’ai souffert » mais chevalier Rose-croix, il me faut encore travailler et souffrir dans le silence et le secret, dans mon désert intérieur, pour connaître, être et ne pas paraître.

Je recommande, à ceux qui veulent en connaître davantage sur les correspondances entre le symbolisme alchimique et celui du 18ème degré de notre rite, la lecture de mon ouvrage « L’œuvre au rouge dans le symbolisme de la tradition maçonnique ».

Février-avril 2015

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