Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
16 avril 2015 4 16 /04 /avril /2015 16:53

Portraits de Francs-Maçons

GUSTAVE MESUREUR (1847-1925)

C’est toujours une surprise pour moi, lorsque j’aborde l’histoire de notre obédience et sa création en 1894 avec des frères, de constater que peu de ceux-ci connaissent Gustave Mesureur qui fut pourtant l’un des principaux maîtres d’œuvre de l’établissement de la Grande Loge de France en puissance maçonnique indépendante. Le nom de ce grand maçon est généralement connu, mais ses idées, ses engagements, ses actions aussi bien dans la société civile qu’en maçonnerie, sont souvent oubliés.

Il m’a paru que je devais contribuer à sortir du quasi oubli Gustave Mesureur et ce faisant rendre un hommage personnel à cet homme de bien.

Gustave Mesureur, qui occupa la charge de Grand Maître de la Grande Loge de France de 1909 à 1910, puis de 1911 à 1913 et pendant l’année maçonnique 1924-1925, naquit le 2 avril 1847 à Marcq-en-Barœul dans le département du Nord. Sa mère, Marie Mesureur, âgée de 17 ans, est une fille mère. Elle travaille à Lille et est venue accoucher chez ses parents qui résident à Marcq-en-Barœul. Il ne sera jamais question de celui qui aurait pu être son père. Ce sont ses grands-parents qui vont le prendre en charge et l’éduquer. Son grand-père restera très proche de lui jusqu’à son départ pour Paris, en 1867.

Gustave Mesureur montre très jeune des goûts et des aptitudes pour le dessin. Il suit des études, grâce auxquelles il va devenir dessinateur de modèles de dentelles et de tissus. Il est engagé dans un atelier du quartier du Sentier à Paris où il devient rapidement chef de projet. Dès son arrivée à Paris, il adhère au syndicat des dessinateurs fondé par Eugène Pottier., l’’auteur de l’Internationale.

La guerre entre la France et la Prusse, en 1870, fait de lui un Garde National affecté à la défense de Paris assiégé par les troupes prussiennes. Il semble être resté éloigné de toute action pendant le triste épisode de la Commune de Paris, ne prenant parti officiellement ni pour les Communards ni pour les Versaillais.

Quand la paix est revenue et que l’ordre républicain s’installe, Gustave Mesureur crée sa propre entreprise de dessins de mode dans le quartier de Bonne Nouvelle. Il épouse en 1873 Amélie Dewailly, la fille de son ami Henri Dewailly, graveur sur bois. Le couple aura deux enfants, André et Amélie, Suzanne. André a exercé des fonctions à la Trésorerie Principale de l4Assistance Publique de Paris. Amélie, Suzanne, née le 14 avril 1882 est décédée le 6 février 1927. Elle épousa le 28 juillet 1919 Louis Charles de Bourbon, un descendant de G. Naundorf qui prétendait être Louis XVII qui ne serait pas mort en 1795 dans la prison du Temple. Le couple divorça le 21 juillet 1920

Sous le Second Empire, même dans la dernière période considérée comme la plus libérale, les loges maçonniques restent les seuls endroits où la parole circule librement. Gustave Mesureur qui a parmi ses fréquentations syndicales et professionnelles des francs-maçons, décide de frapper à la porte du temple. Il est admis, le 2 avril 1869, en même temps que Jules Vallès, au sein de la Loge « La Justice n° 133 » qui siège à l’Orient de Paris sous l’égide du Suprême Conseil de France. Il est instructif de lire ce que le secrétaire de la loge note dans le procès-verbal des travaux de la tenue de ce 2 avril 1869. Il rapporte que le profane Mesureur a exprimé dans son testament philosophique : « Qu’il vient chercher dans la maçonnerie un appui. L’homme seul étant sans force, il espère que du groupement des individualités peut naître une force collective, niée jusqu’à présent par les individualistes. Il ne croit pas en Dieu, car son esprit se refuse à reconnaître rien de supérieur à ce qui constitue l’humanité. Selon lui, la loi n’est qu’un accident, elle représente une époque et non la justice. La loi n’a plus de raison d’être et n’existe plus si le peuple est contre cette loi. Si la loi est mauvaise, la révolte est juste ».

En 1880, c’est parce qu’il est connu comme franc-maçon et a la réputation d’être un homme probe, sincère, partisan de la République et proche du peuple, que des habitants du quartier de Bonne Nouvelle lui demandent d’être candidat aux élections municipales. Il accepte, fait sa campagne électorale et entre au Conseil municipal de Paris début 1881. Il s’inscrit au groupe de l’autonomie municipale. Gustave Mesureur milite pour que les communes réclament leur totale liberté au sein de l’unité nationale.

Réélu en 1884, il prend la présidence du Conseil municipal de Paris en octobre 1886. Son action comme Président de l’assemblée municipale s’inscrit dans la continuité de ses prédécesseurs : recrutement d’agents ayant des idées favorables à la République, contrôle effectif de l’emploi des deniers municipaux, mais prend en compte les questions intéressant la vie quotidienne des parisiens. Il intervient pour que le projet d’un métro sorte des cartons. Il fait adopter par le Conseil municipal la création d’une Bourse du travail destinée à offrir aux ouvriers un lieu de rencontre et de débats. Il engage la ville dans la construction de lycées, l’agrandissement de la Sorbonne, l’aménagement de la rue du Louvre. Gustave Mesureur se bat avec détermination face à l’Etat pour que Paris puisse bénéficier du même statut que les autres villes et villages de France.

En 1887, Gustave Mesureur se porte candidat aux élections législatives et est élu député de la Seine. Il est réélu en octobre 1889, alors que la pression exercée par le Général Boulanger contre la République et les républicains est au plus haut. Il sera à nouveau réélu en 1893 puis en1898, mais sera battu aux élections de 1902.

Pendant ses premiers mandats législatifs, Mesureur s’inscrit au parti des Républicains, auprès de Clémenceau et Pelletan et se fait connaître pour ses engagements sans faille en faveur de lois sociales et la mise en œuvre d’un droit du travail.

A partir de 1893, Gustave Mesureur s’intéresse à la naissance d’un mouvement qui souhaite accélérer le rythme des réformes républicaines et sociales. Dès les élections de 1898, un comité d’action pour les réformes républicaines fait campagne en concurrence avec le Parti Républicain. Mesureur le préside et est élu sous cette étiquette. Fort de l’écho rencontré auprès des électeurs, le Comité réunit un Congrès en 1901 qui aboutit à la création du Parti Radical dont Gustave Mesureur devient le Président pour l’année 1901-1902.

En octobre 1895, Léon Bourgeois qui vient d’être désigné comme Président du Conseil des Ministres nomme Gustave Mesureur Ministre du commerce de l’industrie, des postes et télégraphes. Celui-ci quitte ce poste, lors de la démission de Léon Bourgeois, en avril 1896, et redevient député de la Seine. Pendant sa courte fonction, Mesureur a tout juste le temps de réorganiser l’administration centrale de son département ministériel et de créer en son sein une direction du travail et de l’industrie prenant en compte : « l’importance du travail et des travailleurs dans la production des objets sur lesquels le commerce exerce son action pour les échanger et les répartir entre les hommes » et de mettre en œuvre la réouverture de la Bourse du Travail, fermée par le Préfet de Paris en 1883, au motif que les syndicats qui s’y sont installés n’ont pas déposé leurs statuts auprès des services préfectoraux.

Le 27 août 1902, Gustave Mesureur, est nommé directeur de l’Administration générale de l’Assistance Publique de Paris. C’est une importante administration qui dépend du Ministre de l’Intérieur et a en charge les hôpitaux et hospices et les bureaux de bienfaisance de la capitale ainsi que le recueillement et l’éducation des enfants abandonnés. Dès sa prise de fonction, il précise ses objectifs : rétablir les finances de l’Assistance Publique, améliorer la situation des personnels et développer les moyens mis au service de la population parisienne. Au terme des dix-huit années de sa gouvernance de l’institution hospitalière parisienne, le bilan de l’action menée sous sa direction est exceptionnel. Je ne citerai ici que quelques aspects de l’œuvre conduite à son initiative : la construction de nouveaux hôpitaux, la création de l’école de la Salpêtrière destinée à la formation des infirmières, la laïcisation des services, la mise en application du principe de la neutralité en matière religieuse, les mesures prises pour combattre le développement de la tuberculose. Il ne ralentit d’aucune manière son action pendant les années de guerre et maintient sans faille le dispositif hospitalier parisien au service de l’accueil des blessés civils et militaires, en dépit des bombardements de la capitale par l’artillerie allemande. Lorsqu’il est admis à la retraite, en novembre 1920, Gustave Mesureur fait l’objet d’un hommage unanime, tant des autorités parisiennes et gouvernementales que des personnels de l’Assistance Publique, toutes catégories confondues. On salue son dévouement, ses engagements au service des plus démunis et sa grande disponibilité.

Dans ses engagements maçonniques, Gustave Mesureur fait preuve du même esprit d’indépendance, de ma même ténacité et des mêmes idées libératrices qui ont marqué ses actions politiques et sociales. En janvier 1879, il est celui qui fait valoir auprès des dirigeants du Suprême Conseil de France, les aspirations des loges symboliques d’être représentées dans les instances de l’ordre et suite au refus de ces dirigeants de prendre en considération le vœu dont il s’est fait le porte parole, il est de ceux qui décident de fonder une Grande Loge Symbolique Ecossaise sans cependant se séparer du Suprême Conseil. Après diverses péripéties et sa radiation en compagnie de plusieurs autres frères des listes des frères écossais, Mesureur participe à la création d’une Grande Loge Symbolique Ecossaise, libre et indépendante. La naissance de cette obédience devient officielle le 8 mars 1880. Mesureur en devient le Président en 1883, succédant aux frères Paul Goumain-Cornille et Georges Martin. Il est à nouveau Président de la Grande Loge Symbolique Ecossaise en 1887 et en 1894.

Gustave Mesureur fait partie des membres de la nouvelle obédience qui souhaitent conserver des relations avec le Suprême Conseil de France dont il reconnaît les droits pour administrer les degrés supérieurs du rite écossais. C’est lui qui propose, en 1887, que des négociations aient lieu entre les deux puissances maçonniques. Alors que le rapprochement est acquis, les loges symboliques demeurées sous l’égide du Suprême Conseil de France entament une action pour obtenir leur autonomie. Cette action aboutit à la création le 7 novembre 1894 de la Grande Loge de France qui est seule habilitée à créer et gérer les ateliers du 1er au 3ème degré, le Suprême Conseil conservant la délivrance des patentes. Mesureur rejoint la nouvelle obédience lors de la fusion opérée le 18 décembre 1896 entre les deux institutions gérant les loges symboliques écossaises. Il est élu Grand Maître de la Grande Loge de France le 31 octobre 1903 et est réélu chaque année jusqu’en 1910. Il obtient, en 1904, l’autonomie totale de la Grande Loge de France, dont les loges cessent désormais de travailler au nom et sous les auspices du Suprême Conseil du Rite Ecossais Ancien et Accepté, lequel abandonne à la Grande Loge de France la délivrance de la patente écossaise de Constitution de tout atelier des 3 premiers degrés du rite.

Gustave Mesureur occupe à nouveau la charge de Grand Maître de 1911 à 1913 puis pour l’année 1924-1925. Il ne lui sera pas permis de terminer ce nouveau mandat et de prendre connaissance des réponses données par les loges aux questions sur lesquelles il leur a demandé de travailler et qui concernent l’école unique, la solidarité maçonnique, les relations franco-allemandes et la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Il meurt le 19 août 1925. Ses obsèques strictement civiles ont lieu le 22, sans discours ni fleurs, selon sa volonté. Son corps repose au cimetière du Père Lachaise à Paris, dans la division 93.

Lors du Convent de 1925, le frère qui rend un hommage fraternel à Gustave Mesureur, a ces paroles qui seront la conclusion de la présentation que je fais de ce Grand Maçon :

« Il a été le Maçon dans toute l’acception du terme. Depuis 56 ans, son activité ne s’est jamais démentie. Il avait coutume de dire : ‘On est dans la Franc-maçonnerie non pour s’en servir, mais pour la servir’. Et pour témoigner de la sincérité de son opinion, il ne s’éloigne jamais de nos colonnes, même lorsque les charges profanes réclamaient tout son dévouement. Conseiller municipal, député ou ministre, il venait prendre sa place parmi nous. Quand la Direction de l’Assistance Publique accapara tous ses instants, il consentit à garder la Grande Maîtrise pour prouver publiquement son indéfectible fidélité à notre Ordre. Au-dessus de tous les honneurs profanes, il a arboré comme l’honneur suprême, celui d’être Maçon.

Le rite écossais pratiquait bien la Fraternité, mais la Liberté et l’Egalité de ses membres étaient fort discutables et fort discutés. Nous ne rappellerons pas ici la lutte qu’il mena avec de vaillants compagnons d’armes pour obtenir l’autonomie des Loges des trois premiers degrés et les polémiques ardentes et le schisme qui s’ensuivit, avec la création de la Grande Loge Symbolique Ecossaise. Contentons-nous d’enregistrer sa victoire, victoire dont nous avons récolté les fruits ; et si l’Ecossisme a eu l’honneur d’initier Gustave Mesureur, nous, Grande Loge de France, nous garderons la gloire d’avoir reçu de Lui la lumière. »

Guy Piau

Partager cet article
Repost0

commentaires